Enrique Gómez Carrillo (Guatemala 1873-1927)

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Enrique Gomez Tible connu sous le pseudonyme d'Enrique Gomez Carrillo est à la fois journaliste, critique et romancier. Après une courte carrière de journaliste dans son pays, notamment en tant que collaborateur de Rubén Dario, il s'installe dès 1891  à Madrid où il travaille au Diccionario enciclopédico de la maison Garnier. En 1898 il s'installe définitivement à Paris 

 

Enrique Gómez Carrillo en France :

L'écrivain guatémaltèque Enrique Gómez Carrillo est le plus représentatif de tous ces écrivains hispano-américains installés à Paris au début du vingtième siècle. Il connaît parfaitement les milieux littéraires et mondains et il joue volontiers,comme il l'a fait pour Darío, le rôle de guide ou d'introducteur dans ces cercles souvent fermés.

    Admiré et détesté à la fois, séduisant et irritant, Enrique Gómez Carrillo règne en maître sur la colonie littéraire hispano-américaine. "Chroniqueur brillant, bretteur redoutable, boulevardier élégant, Gómez Carrillo fut une des figures les plus parisiennes d'avant-guerre ; il était le plus connu en France des écrivains hispano-américains, le seul connu, presque..." nous dit de lui Georges Pillement. Il est même selon l'expression de Remy de Gourmont "l'écrivain espagnol qui s'est fait une place dans notre littérature française".

    Occupant le devant de la scène parisienne, Gómez Carrillo apparaît à la fois comme le porte-parole et la caricature de ces écrivains latino-américains installés dans la capitale. Il incarne, aux yeux du plus grand nombre, et comme le souligne Sylvia Molloy, "cette image de l'homme de lettres hispano-américains dont les français auraient quelque mal à se débarrasser : l'esprit superficiel et brillant, le diseur de bons mots, le rastaquouère intelligent qui amuse mais qu'on ne prend pas toujours au sérieux". Mais à côté de cette image trop critiquée, il est aussi une plume respectée et admirée.

    Travailleur littéraire infatigable, aux lectures innombrables et à la prose irréprochable, Carrillo publie beaucoup. Par le prestige que rapidement il obtient, par sa facilité de plume, par sa parfaite connaissance des réseaux mondains et littéraires, il contrôle bien vite le petit monde de la littérature hispano-américaine à Paris. Il mène de front son activité de chroniqueur pour différents journaux (dont El Liberal, et ABC, Madrid), quelque charge de diplomatie (il est un temps à l'Ambassade d'Argentine), la tenue de la rubrique des lettres espagnoles au Mercure de France (de 1903 à 1907), la collaboration à différentes revues, voire leur direction (El Nuevo Mercurio), le travail éditorial (il est collaborateur chez Garnier) et la réalisation d'un nombre impressionnant d'ouvrages - trente-six titres publiés en France. Comme si cela n'était pas assez pour remplir une vie, il parvient même par ses frasques amoureuses à se trouver mêlé au sort de l'espionne Mata-Hari. Même s'il est parfois, et pour certains, par son omniprésence sur la scène parisienne et sa brillante superficialité, un personnage qui irrite, il n'en reste pas moins un personnage essentiel du monde des lettres hispano-américaines du début du siècle. Au public latino-américain, il permet de découvrir, outre Paris et les scènes de la vie parisienne qu'il évoque dans ses chroniques, les artistes et les écrivains français, le monde des lettres et des arts. Au public français, il présente en retour ses amis modernistes et la littérature hispanique en général. Il met ainsi à profit sa collaboration avec la maison Garnier pour publier dès l'âge de 21 ans, deux anthologies d'auteurs espagnols et français : Cuentos escogidos de autores españoles, qui comporte à côté des auteurs espagnols des textes de Gutiérrez Nájera, Rubén Darío et Julián del Casal. Cuentos escogidos de autores franceses est une selection d'auteurs français. Ces livres préfigurent d'autres ouvrages de jugements critiques et de portraits d'auteurs français ou européens : Literatura extranjera et Alma y cerebros (1895). A côté de ces publications qui sont la face la plus visible de cette activité, il convient d'avoir présent à l'esprit sa parfaite connaissance du milieu littéraire, les relations avec les éditeurs aussi bien qu'avec les auteurs en vue de son temps qui lui permettent d'accueillir et de guider ses amis venus d'Amérique dans leurs entreprises de publication.


    Au Mercure de France où il collabore de 1903 à 1907, Gómez Carrillo fait œuvre d'ambassadeur des lettres hispaniques, du courant moderniste pour l'essentiel. Mettant en pratique son expérience journalistique, il préfère à la critique littéraire conventionnelle une présentation plus vivante et variée. Plutôt que de présenter quelques titres et d'apporter son jugement personnel, Carrillo ouvre le débat sur le phénomène moderniste. Il oppose les "anciens" aux "modernes" par le biais d'enquêtes, d'interviews, d'échanges de correspondance. De façon indirecte, alors qu'il est en fait chargé au Mercure de la rubrique Lettres espagnoles, il parvient ainsi à introduire et faire découvrir la jeune littéraire latino-américaine dont il est l'un des ardents défenseurs et en même temps un des représentants. Il est aussi, depuis Paris, un des premiers à vouloir renforcer le dialogue entre les deux mondes de l'hispanité. Il s'oppose en cela à Pedro Emilio Coll ou E. Díaz Romero (autres collaborateurs au sein de la même revue de la rubrique des Lettres hispano-américaines) lesquels n'ont eu de cesse d'opposer le courant novateur hispano-américain à une Espagne rétrograde. Il oeuvre en ce sens à une découverte du monde hispanique en général et pose ainsi les premiers jalons d'un contact intellectuel plus profond entre la France et les pays hispaniques.